Micro Nouvelle

Adieux

Il fait drôlement froid depuis que mes humains sont partis. Je suis aussi gelée à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il commence à y avoir de la glace sur l’intérieur des vitres, l’hiver revient. Pour chasser l’ennui, je convoque les souvenirs. La première fois qu’ils sont entrés, j’ai bien cru que j’allais mourir. Tous ces petits pas dans mon ventre… des chaussons d’enfant qui chatouillent, des godillots qui martèlent, les talons fins qui piquent. C’était comme une gigantesque indigestion qui ne s’arrête jamais. Puis peu à peu, je me suis habituée. J’ai pris goût à la chaleur douillette du feu dans l’âtre au cœur de l’hiver et aux odeurs de biscuits qui grimpaient jusqu’au toit me titiller les chevrons.

J’en ai vu défiler des humains, si vous saviez… Des petits, des gros, des grands, des vieux, des jeunes. La vie était doucement monotone, jusqu’à l’arrivée, un beau jour, des ces minuscules pas de bébé dans la chambre du fond. Cette humaine toute neuve s’est avérée la plus intéressante de tous. La plus bruyante aussi, j’ai passé quelques mauvaises nuits. Mais avec elle, j’étais vivante ! Rose bonbon les premières années, bleue les suivantes, constamment en désordre… Je garde un souvenir assez vif de son adolescence, où elle piquait par centaines ces terribles petites punaises dans mes murs. Qu’est-ce que ça a pu me gratter… mais je n’ai jamais rien dit. Elle avait trop besoin de moi, de son refuge. J’ai écouté ses rires, ses questions et ses pleurs. J’ai gardé en secret toutes ses lettres d’amour, bien cachées derrière la trappe du volet. Elles y sont toujours. Elle a fini par grandir, je crois qu’elle les a oubliées, mais pas moi. Un jour, elle est partie, et les autres humains aussi, remplacés par d’autres, et d’autres encore tant et si bien que j’ai perdu le compte. Jusqu’au jour où ce fut le silence.

J’ai attendu, j’ai espéré, le retour de la vie entre ses murs. Un temps, j’ai abrité des écureuils, et même un couple d’oiseaux. Aujourd’hui je suis las de cette vie de solitude. C’est décidé, je tire ma révérence. Soyez heureux, petits humains et souvenez-vous des vieilles pierres !

Et dans un terrible fracas, la bâtisse s’effondra.