Pensées
Quand j’étais enfant, et que je n’arrivais pas à m’endormir, ma mère me disait toujours “ne pense à rien”. Je ne sais pas comment sont fait les autres, mais moi, je ne sais pas penser à rien. Quand j’essaie, je me mets à penser à la pensée elle-même. Qu’est-ce qu’une pensée ? Une image, un son, un mouvement… la pensée est une petite musique qui danse et sautille partout à la lisière de la conscience. C’est un petit animal sauvage, indomptable, désobéissant, qui surgit quand on cherche le silence et qui refuse de revenir quand on essaye désespérément de combler un trou de mémoire. Je crois que mon cerveau est une espèce de vaste bibliothèque vraiment très mal rangée. Je n’ai jamais pris le temps de classer quoi que ce soit. Parfois une pile s’écroule, parfois je perds des choses… mais je m’y sens bien.
La musique qui entre dans mes oreilles pousse les murs de mon esprit. J’aime m’enfermer avec elle dans une bulle qui fait enfin taire les voix des autres. J’ai besoin de cette solitude. J’ai tellement besoin de m’entendre penser ! Au milieu de cette scène couverte de parquet noir qui s’étends maintenant dans l’immensité de mon esprit, une petite silhouette esquisse des entrechats et tournoie avec la souplesse et la légèreté d’un félin. Comme j’aimerais danser moi aussi. Sortir de ce foutu corps qui fait mal, être libre. Et voilà… je recommence à broyer du noir. Parfois je me demande si les autres ont raison. Est-ce que j’ai tellement l’habitude de tout voir en noir que je ne sais plus faire autrement ? Est-ce que dans le fond j’aime ça ? C’est tellement simple d’être triste. Et tellement dangereux d’être heureuse…