Tanuki
Kenji était parti à l’aube. Il avait pris deux trains et un bus pour arriver au pied de la montagne. Il s’était élancé courageusement sur les pentes boisées, courbé par le poids d’un sac à dos trop lourd. C’était la première fois qu’il partait en randonnée seul et c’était aussi la première fois qu’il s’aventurait si loin hors de Tokyo sans ses parents. Kenji venait de fêter son dix-septième anniversaire. La perspective de passer sa dernière année de lycée comme toutes les autres, studieux et anonyme, lui laissait un goût amer dans la gorge. Ni particulièrement brillant, ni particulièrement sportif, Kenji rêvait pourtant de célébrité. Le jeune homme passait le plus clair de son temps libre à se balader dans Tokyo, son appareil photo en bandoulière, à la recherche d’une image exceptionnelle à saisir. Pour ce dernier jour de vacances, il avait décidé de chercher l’inspiration dans les brumes du Mont Mitake.
Après quatre longues heures d’ascension, il aurait dû se trouver proche du sommet. Mais plus il avançait, et plus la végétation se faisait épaisse. Le sentier s’enfonçait inexorablement dans les profondeurs des bois, l’éloignant à chaque pas de ses précieux paysages. Kenji s’assit sur un rocher pour reprendre des forces. Il sortit sa gourde et avala quelques gorgées. L’eau était restée fraîche malgré la chaleur. Un bruissement dans les buissons semblait se rapprocher. Pétrifié à l’idée de se retrouver nez à nez avec un animal sauvage, le jeune garçon fixait les feuillages d’un oeil inquiet. Un drôle de petit animal fit irruption. Mi-renard, mi-raton laveur, il se déplaçait sur ses pattes arrières, tenant dans ses mains un petit paquet enrobé d’une feuille autour duquel était noué une ficelle. Le petit être s’inclina et demanda :
– Auriez-vous l’obligeance de me donner un peu de votre eau pour me désaltérer ?
Médusé, Kenji ouvrit la bouche pour parler mais aucun son n’en sortit. D’un geste brusque, un peu gauche, il tendit la gourde aussi loin que possible. Pendant que la créature se désaltérait, il parvint à bredouiller une question.
– Qu’ qu’ qu’êtes-vous au juste ? S’il vous plaît. Monsieur. Si vous êtes un monsieur… sinon je vous pris de bien vouloir accepter mes excuses.Un Tanuki voyons. N’apprenez-vous donc rien à Tokyo ?- Si, je… mais comment savez-vous que je viens de Tokyo ?
– Je sais d’autres choses. Je sais par exemple que tu es perdu, à presque un kilomètre du sentier touristique.
Kenji déglutit avec difficulté. Un kilomètre ? Comment allait-il retrouver son chemin ? Il ne serait jamais redescendu avant la nuit…
– Tu m’as donné de l’eau fraîche. Tu as un bon fond. Je vais te conduire au camphrier, il guide les égarés.
Le jeune homme chemina en silence derrière le Tanuki qui trottinait en esquivant les branches avec une vivacité que Kenji n’avait pas. C’est complètement essoufflé qu’il arriva au pied d’un arbre majestueux, paré d’une guirlande de shide, ces petites bandelettes de papier plié. Le Tanuki s’inclina respectueusement devant l’immense camphrier et déposa à son pied le petit paquet. Kenji fut surpris de la fraîcheur qui régnait dans le sous bois. Un brise légère caressait sa peau et faisait osciller une mèche devant ses yeux. Les ombres dansantes du feuillage dessinait sur ses vêtements de petites taches de couleur. L’air était chargé des senteurs délicates du camphrier. Il respirait à plein poumon, comme s’il n’avait rien senti auparavant. Il regardait autour de lui, comme s’il n’avait jamais ouvert les yeux. Il dénoua son sac pour en sortir son appareil photo, mais se ravisa. Il régnait en ce lieux quelquechose d’indéniablement sacré, qu’il ne pouvait se résoudre à profaner pour quelque chose d’aussi stupide qu’une fanfaronnade au club de photo du lycée.
Le Tanuki sourit et les yeux clos, murmura :
– Parfois, le chemin est plus important que la destination.