Bribes

Ao to Midori

Aujourd’hui est un jour léger, un jour de commencement. La première goutte est tombée ce matin sur une des pierres du patio. Elle a explosé en silence, dans la douce chaleur des premières heures de juin, avant de s’étirer lentement sur la courbure du rocher. Juste à mes pieds, le divin pinceau céleste a tracé sur le sol, de sa plus belle encre noire, le point de départ de la saison des pluies.

Je me suis assise sur le bord de la coursive en bois, avide du spectacle qui allait suivre, et j’ai attendu. Il n’aura pas fallu longtemps pour que la pierre mouillée, constellée d’une myriade de tâches disparates, se mette à chanter l’odeur de la pluie. Je respire à plein poumons cet instant fugace ou le parfum du petrichor, délicieusement enivrant, se mêle aux effluves légères des fleurs.

Bercée par le bruit de l’eau qui tombe sur les feuilles, je laisse vagabonder mon esprit. Il se pose, comme un insecte, sur la hampe bleutée d’un hortensia. Ao. Le kanji flotte dans l’air, épais, presque tangible. Saviez-vous qu’il n’existe pas, en japonais, de mot pour désigner précisément la couleur bleue ? Ao s’oppose au rouge. Pas mûr, encore vert. La nature qui s’éveille est Ao. Le ciel paisible d’une belle journée d’été aussi, est Ao.

Dans la lumière feutrée d’un jour de pluie, les feuilles du jardin scintillent de mille et un reflets azurs. Les gouttelettes d’eau rebondissent sur la mousse dans un étrange tintement métallique. Le vent se lève. Il apporte dans son sillage le cri apeuré d’un fûrin oublié. Je rends hommage à la sagesse de mes ancêtres : ni bleue, ni verte, sans fin et sans début, c’est la nature qui me contemple.

– Midori ?

On m’appelle. La pluie qui s’abat maintenant avec violence sur mes pieds nus, emporte au loin mes préjugés et délave mes illusions. Ao to Midori : le bleu et le vert, la nature et moi.