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Morceau choisi
La pluie froide et drue, lentement se glisse et s’insinue. Sournoise, rebelle, elle me murmure à l’oreille des mots d’angoisse, nourrit mes peurs et assombrit mes pensées. Sans rage, sans passion, le coutelas s’abat. Froidement disséqué, mon cœur désincarné s’éparpille sur le sol immaculé. J’observe les morceaux irréguliers, les caresse, les palpe, les soupèse. Je croque le plus juteux et du sang tiède gicle dans ma bouche. Je mastique bruyamment la chair crue, encore palpitante, qui grince, spongieuse, sous mes dents. Le liquide pourpre dégouline sur mon menton et se mêle tendrement à la pluie fine. A mes pieds ruissellent bientôt les volutes rosies et tortueuses du fantôme de mon chagrin. Je lèche mes doigts rougis, je tête avidement mes ongles jusqu’à faire disparaître la toute dernière goutte du suc métallique et ferreux. Rageusement, la pluie redouble de violence et me brouille la vue. J’éclate d’un rire tranchant. Tu ne peux plus rien contre moi…